Secteur des médias
A quoi pense-t-on lorsque l’on parle de « marché des médias » ? Les médias englobent la télévision et tous les programmes y compris les séries et les divertissements qu’elle diffuse, la presse magazine spécialisée sur le secteur du bâtiment, la presse gratuite, les radios thématiques… Il n’y a pas un mais des marchés des médias. Les médias constituent un secteur à part entière.
En-dehors du cinéma, les recettes des médias dépendent pour une large partie des dépenses publicitaires des annonceurs. Les marchés des médias et de la publicité sont voisins. Plus que cela, ils sont liés et interdépendants puisque les dépenses du second constituent les recettes du premier. Les dépenses publicitaires sont elles-mêmes conditionnées par la santé économique du pays ou du secteur d’activité de l'annonceur. En cas de crise, les entreprises peuvent réduire ces budgets facilement, contrairement à nombre d’autres dépenses engagées contractuellement.
Par ailleurs, la fragmentation des audiences entre supports et les mouvements d'audience vers de nouveaux acteurs et supports font pression à la baisse sur les tarifs publicitaires. Du côté des coûts, on l’a aperçu dans l’introduction aux modèles d’affaires des médias et on approfondira ce point dans le chapitre sur l’Offre, les médias évoluent dans un environnement de coûts fixes élevés et de coûts marginaux ou variables faibles. La plupart des médias ont donc recours à plusieurs sources de financement (les ventes et la publicité par exemple, ou la publicité et la redevance) pour limiter les effets de la volatilité du marché publicitaire d’une part et proposer un prix attractif d’autre part. Cela n’a pas empêché les vagues de licenciements dans les médias et les fermetures de journaux entre 2007 et 2012.
Depuis 2010, on observe un fort mouvement de concentration et la naissance de nouveaux groupes de médias, ce qui leur permet de réaliser des économies d’échelle, de suivre et mieux adresser les déplacements de leurs audiences, d’offrir une plus grande surface d’exposition aux annonceurs et ainsi d’augmenter leur pouvoir de négociation quant au prix de la publicité.
a. Les offreurs
Les caractéristiques des produits médiatiques décrites ci-dessus nous aident à définir différents plans concurrentiels. Avant tout, nous l’avons abordé dans le chapitre « Combien de lecteurs, auditeurs, téléspectateurs », les audiences de médias par support ont tendance à se cumuler. La consommation d’Internet sur mobile vient s’ajouter à la consommation d’Internet sur ordinateur qui venait elle-même s’ajouter à la consommation de télévision… Les médias se répartissent donc en marchés des médias et se font une concurrence horizontale entre supports (journal, magazine, télévision, radio, web) sur des tranches de journée de leurs audiences. On écoute la radio le matin, dans sa cuisine, sa salle de bain, sa voiture, puis le soir en rentrant du travail en voiture. On lit le journal dans les transports en commun ou chez soi, les magazines chez soi le week-end… Le JT à table en famille. Et on est connecté à Internet à peu près tout le temps.
L’Offre de médias s'imbrique dans le temps disponible et les habitudes de consommation de la Demande. Les médias se regroupent horizontalement pour étendre leur diffusion et leur offre d’espaces publicitaires : achat, création de chaines pour une télévision, rachat de journaux par des groupes et aussi fusion de chaines et de journaux .
Au sein de ces marchés, les acteurs se font une concurrence sur des critères "produits" tels quel la thématique, la ligne éditoriale, l’unicité et la qualité.
La liberté d’expression est garantie par la Constitution et il est rare que des publications aient été censurées a priori, avant leur création ou avant la diffusion d’un reportage par les pouvoirs publics. Cependant, les médias évoluent dans une économie de couts fixes élevés. Contrairement aux industries de production de biens de consommation de masse où l’on conçoit un produit, on le teste, on l’ajuste, puis on le développe à grande échelle pour le rentabiliser ; la production de chaque journal, de chaque JT, émission de radio est unique, nécessite le travail de nombreux collaborateurs, souvent des déplacements, implique des coûts fixes de production très élevés et parfois croissants en fonction de pics d’actualité, des coûts de diffusion encore plus élevés pour certains supports et des coûts marginaux relativement faibles ou inexistants.
C’est en raison de ces coûts fixes élevés que la plupart des médias adoptent une double structure de financement : les ventes et la publicité. Par ailleurs, en fonction de son potentiel de diffusion, un média sera donc soumis à une taille minimale efficiente, au-deça de laquelle le seuil de rentabilité ne pourra pas être atteint.
En fonction de leurs objectifs les médias vont produire et ou diffuser des biens médiatiques différents. S’ils cherchent à maximiser leurs recettes, ils auront une forte production originale, de contenus froids en particulier, de manière à pouvoir les commercialiser auprès d’autres médias. S’ils cherchent à minimiser leurs coûts, ils achèteront une part importante des contenus qu’ils diffusent auprès de leur audience.
En ce qui concerne la production, on peut, au contraire adopter une stratégie de rentabilité basée sur la maitrise des coûts, en achetant des programmes de qualité médiocre que l’on rediffusera à l’infini. Quoi qu’il en soit, ces coûts constituent des barrières à l’entrée très élevés. On ne constate que rarement l’arrivée de nouveaux médias traditionnels, encore moins grands publics. Mais ces barrières tombent sur Internet ce qui permet à de nouveaux médias d’apparaître avec des coûts de fonctionnement moins importants (recours à des pigistes, blogueurs spécialisés, journalistes moins bien payés, contributeurs y compris à l’étranger).
b. Modèles d’affaires, structures de coûts et de recettes par famille de médias
Presse quotidienne et presse magazine
La presse quotidienne et la presse magazine ont à peu près les mêmes postes de dépenses et des structures de coûts proches. Cependant, la presse magazine, moins contrainte par sa cadence de diffusion, a pu se permettre d’externaliser plus tôt un certain nombre d’activités parmi les plus coûteuses.
Toussaint Desmoulins, Nathalie. L’Economie des médias. Structure des charges d’un quotidien. Page 53.
Gabszewicz, Jean. Sonnac, Nathalie. L’industrie des médias à l’ère numérique.
Structure des charges d’un magazine. Page 23.
Les coûts se décomposent de la manière suivante :
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La rédaction : les journalistes, documentalistes, iconographes, infographistes, maquettistes, mais également les agences qui permettent aux médias de s’organiser, compléter leur couverture (internationale notamment) et diffuser des images. On note que ce poste ne représente « que » 15 à 25% des coûts du magazine ou du journal.
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L’administration : personnels dit de support (comptabilité, ressources humaines…) et moyens généraux qui oscillent entre 10 et 15% des coûts
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La fabrication : papier, encre, impression qui représentent à 20 à 30% des coûts
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La distribution : messageries, frais postaux, portage qui représentent 15 à 40% des coûts.
Au total, dans la structure des charges d’un titre de presse, ce n’est donc pas le contenu mais le contenant qui coûte le plus cher à produire et à délivrer jusqu’au consommateur. On comprend les tensions quant à l’existence du support papier. En effet, si se priver de la diffusion papier ampute une large part des recettes publicitaires d’un média, cela permet d’un autre côté de réaliser des économies sur deux postes qui cumulent 35 à 70% (!) des coûts totaux.
Pour revenir à l’information, il est compliqué d’en calculer le coût exact : salaires et frais des journalistes travaillant sur un reportage, prix d’achat d’une photo ou d’une infographie pour illustrer un article... Qu’en est-il du journaliste qui est informé d’un scoop par plusieurs de ses sources ? Ou de la reprise d’une dépêche d’agence ? Et il est encore plus difficile d’en calculer le bénéfice ? Sauf à noter une hausse exceptionnelle des ventes au numéro lors de la parution d’un scoop ou d’un numéro spécial, comment savoir ce qu’une information rapporte ? Aujourd’hui, si on ne sait toujours pas combien elle rapporte, il est possible de mesurer l’impact d’une information sur le web en comptabilisant les pages vues et les partages sur les réseaux sociaux. A titre d’exemple, Eric Scherer, responsable de la stratégie numérique du groupe France Télévisions, évalue le coût des huit mois d’enquête des reporters du Boston Globe sur les abus sexuels du clergé catholique américain (2002) à 1 million de dollars.
Du côté des recettes, on se souvient que la presse se finance pour environ un tiers sur le marché publicitaire et deux tiers sur le marché des médias. Il s’agit des abonnements et des ventes au numéro. Les titres recourent à des offres très attractives pour décrocher de nouveaux abonnés en leur proposant des prix fortement remisés et des cadeaux, y compris des tablettes. Autrement dit, le coût de recrutement d’un nouvel abonné est très élevé, et, en général, amorti seulement à partir de la seconde année d'abonnement. La fidélisation des abonnés est donc au coeur de la stratégie des titres de presse. A noter que les abonnements couplés web + papier sont maintenant moins onéreux que les abonnements au papier seul ne l’étaient. Les médias sponsorisent la vente du papier pour continuer à engranger les dépenses des annonceurs sur ce support dont les encarts se vendent beaucoup plus cher. Les ventes au numéro se font principalement dans les kiosques qui ont obligation de respecter la pluralité des opinions et ne choisissent donc pas les titres qu’ils vendent (ceux qui se vendent le mieux ou relevant d’un courant politico-économique par exemple). On distingue différents types de consommateurs : les fidèles (au titre) / régulier (au point de vente), les fidèles / irréguliers, les infidèles / réguliers et les infidèles / irréguliers.
Encore une fois on note que l’imbrication des deux marchés, des médias et de la publicité, se consolident dans la perspective de recettes des médias : plus les ventes augmentent, plus les recettes publicitaires augmentent. Et réciproquement.
Audiovisuel
Les entreprises du secteur audiovisuel (radios et télévisions) se voient attribués des fréquences par les pouvoirs publics par l’intermédiaire du CSA (Conseil de Surveillance de l’Audiovisuel) qui valide un cahier des charges. Le nombre limité de fréquences constitue une barrière à l’entrée qui a été repoussée avec l’arrivée des bouquets satellite, de la TNT puis de la fibre qui permet de diffuser des chaînes par Internet.
Les entreprises de télévision externalisent une quantité très importante des programmes qu’elles diffusent : séries, cinéma, divertissement, documentaires sont principalement réalisés par des sociétés de production dont le propriétaire peut être l’animateur de l’émission de divertissement par exemple. Ceci permet aux chaines d’être plus libres dans le choix de leur grille et de l’évolution de celle-ci d’une année sur l’autre.
En fonction de la quantité de production réalisée en interne, les chaînes et stations devront se doter d’un équipement plus ou moins onéreux et d’un personnel plus ou moins nombreux. Ainsi, l’équipement en capacité de tournage (studios, plateaux) et de diffusion (satellite) coûte plusieurs millions d’euros pour les grands médias.
Gabszewicz, Jean. Sonnac, Nathalie. L’industrie des médias à l’ère numérique.
Coût des grilles des chaînes nationales historiques (2002-2011). Page 27.
La consommation de radio et de télévision se fait dans l’instant. Contrairement à un journal ou à un magazine que l’on peut acheter pour le lire plus tard, dont on peut parcourir la pagination librement, l’audiovisuel impose sa programmation à son audience. Par ailleurs, si l’on choisit un journal en kiosque et rarement plus, pour les médias de l’audiovisuel la concurrence est à portée de télécommande. On passe d’une chaîne à l’autre en moins d’une seconde et on peut parcourir des centaines de chaînes en quelques minutes. La concurrence se fait donc sur des cases à l’intérieur desquelles les médias peuvent choisir de jouer la concurrence frontale (journaux télévisés de 20h, deux films ou deux séries américaines de qualité à 21h…), la complémentarité en adoptant une contre-programmation (l’épisode inédit d’une série face à un nouveau jeu de télé-réalité) ou la spécialisation (sport, cinéma).
Les programmes d’information sont principalement des programmes de flux (chauds) qui s’opposent aux programmes de stocks (fiction, documentaire, magazines culturels). Ils sont généralement réalisés en interne par la rédaction de la chaîne ou de la station. Ainsi les rédactions des chaînes du groupe France Télévisions rassemblent environ 2 400 journalistes et pigistes, ce qui fait du groupe la première rédaction de France, avant l’AFP.
Globalement, une chaine va proposer un ensemble d’émissions de divertissements généralement « froids » (séries, télé-achat…) parfois moins propices à rediffusion (jeux) et de l’information ou de l’infotainment au moment des pics d’audience qui correspondent, de ce fait, à la valorisation maximum des spots publicitaires.
CSA. Chiffres clés de l’audiovisuel français. Page 9.
Internet
Tous ces acteurs de la presse et de l’audiovisuel se rassemblent sur Internet pour y porter une concurrence frontale, sur l’information notamment. Chacun, autour de la force de son support principal (texte et photo pour la presse, l’audio via les podcasts et le live pour la radio et la vidéo via la catchup et le live pour la radio et la télévision) construit des services complémentaires pour capter et fidéliser une audiences, en se fournissant encore plus auprès des agences mais aussi en développant des modèles commerciaux ou de partenariat.
Classement des sites grands publics, décembre 2017. ACPM.
http://www.acpm.fr/Chiffres/Frequentation/Classement-des-Sites/Classement-Unifie-des-Sites-GP
Les sites Internet proposent comme critères communs de comparaison les visites et les pages vues. Les communication d’autres critères de mesure d’audience est à leur discrétion et en fonction de leurs objectifs ils vont privilégier les visiteurs uniques, le temps passé... Le site alexa.com est très utile pour établir des classements basés sur les parts de visites et visiteurs uniques (cookie installé dans les navigateurs).
L’OJD ne communique pas sur les visiteurs uniques des sites. On le remarque dans le tableau précédent, une visite ne dure que très de temps sur un site de média : 1,5 à 4 pages vues par visite, et combien de temps pour lire un article ? Des PV de l'OJD, on peut déduire quelques hypothèses quant au nombre de visiteurs uniques des sites de média. LeMonde.fr, par exemple, dispose d’une audience comprise probablement entre 1 et 5 millions de visiteurs uniques par mois. Rapporté au nombre de visites, cela signifie qu’un internaute fidèle au Monde se rend sur le site entre 8 et 43 fois par mois, soit de 2 fois par semaine à 1,5 fois par jour.
c. La crise de 2007 et ses implications (restructuration, fermetures, acquisitions, diversification)
La crise qui démarre en 2007 épargne relativement les secteurs de la radio et de la télévision. L’économie se contracte et les annonceurs reculent sur les investissements publicitaires mais l’arrêt de la publicité après 20h sur les chaînes du groupe France Télévisions a permis de transférer une partie des recettes sur le secteur privé.
La crise de 2007 touche de plein fouet les journaux à partir de 2009. Les banques touchées (elles-mêmes gros annonceurs), c’est toute l’économie qui manque de financement, consommateurs et entreprises, d’où un retrait important des ventes au numéro et des budgets publicitaires. Aux Etats-Unis, 8 000 emplois de journalistes disparaissent avec des dizaines de parutions locales en 2 ans (http://newspaperdeathwatch.com/). En France, La Tribune et France Soir disparaissent des kiosques, les groupes de PQR puis de PQN et de presse magazine se reconstituent, des plans sociaux sont menés dans la quasi-totalité des titres, les paginations sont réduites et certaines rubriques passent à la trappe. Le Monde et Libération changent de main pour être refinancés. Certaines rédactions web commencent à être intégrées aux rédactions papier, à commencer par les gratuits. La presse vit un état de sidération face à l’ampleur de la catastrophe. Au même moment, de nouvelles formes de journalisme apparaissent sur de nouveaux médias comme Rue89 ou Le Post qui génèrent de fortes audiences. La menace est double : perdre le papier et ne pas pouvoir s’imposer sur le web. Les médias réalisent alors que la disparition du papier est réellement possible, voire probable à long terme et décident d’investir sur le web en rénovant leur CMS, en intégrant systématiquement leurs rédactions jusqu’au modèle du web first à commencer par les gratuits encore une fois. Une croyance s’instaure dans la tablette comme l’appareil qui sauvera la presse, d’où des investissement massifs dans les applications pour iPad et la production de contenus originaux spécifiques pour ce support. Finalement c’est sur le mobile que l’audience continue d’augmenter le plus vite et au-delà des formules d'abonnement à étages, on constate une mise en place généralisée des paywalls avec des gradients du soft au hard paywall. Les médias ont racheté ou pris une part significative dans le capital (de la filiale française le cas échéant) de tous les pures players à l’exception de Slate et de Mediapart. Ils se sont spécialisés (Amaury dans le sport avec ASO et L’Equipe) ou diversifié (le groupe Le Monde avec le rachat de L’Obs, LMVH avec Le Parisien - Aujourd’hui en France, Altice avec Libération, L’Express, BFM et RMC…). Cela a aussi été l’occasion pour de nouveaux investisseurs de prendre la tête d’un journal ou d’un groupe de média alors qu’il voit ses revenus chuter.
Aux Etats-Unis et en Allemagne, les médias prennent des parts significatives dans des entreprises de technologie. C’est le cas du Spiegel par exemple qui est entré au capital de Qwant, le moteur de recherche français et de Blendle, le kiosque néerlandais. Aux Etats-Unis, à l’initiative de Jeff Bezos, le Washington Post commence à proposer ses technologies de collecte de diffusion de l’information à disposition d’autres médias sous licence et le New York Times est aussi entré au capital de Blendle.
Cartographie des journaux dans le monde :